FESTOR Lucien

FESTOR Lucien
Réseau GALLIA
FESTOR Lucien

Né le 21 décembre 1921 à NOYEUVRE Grande (Moselle)
Instituteur – détaché Professeur d’Éducation physique au Lycée de Digne

Agent de renseignement P2 du réseau GALLIA
Matricule 871-04 à/c du 1 mars 1943 – puis 25 227
Pseudos Francis – Mireille
Chargé de mission de 3e classe – Sous-lieutenant
Région Sud-Est – Secteur Digne-Nice
Chef du Secteur de Digne
Arrêté par la Gestapo – relâché – a sauvé ses papiers

Il écrivait le 12 décembre 1996 à son Chef de Réseau le Colonel GORCE-FRANKLIN, Président de l’Amicale GALLIA :
« … c’est une histoire qui pourrait arriver à chacun d’entre nous avec cette difficulté, à vingt ans, de trouver l’équilibre entre le renseignement et l’action … » Festor Lucien.

« Ce jour nous rendit la Liberté…

Le réseau Gallia, sous secteur des Basses Alpes (Alpes-de-Haute-Provence) comptait au 31 décembre 1943, neuf agents homologués P1 et P2 au B.C.R.A.. L’importance stratégique du département était réduite ; peu de renseignements intéressants à fournir, mais pour nous une heureuse période de formation grâce au concours de l’antenne de Nice.
L’occupation italienne s’était faite sans incident notoire, mais l’arrivée des troupes allemandes allait changer la donne.
Au début, les troupes locales étaient composées d’unités dites de « Sécurité », peu nombreuses, manquant de moyens de transport. Les bicyclettes étaient plus nombreuses que les véhicules. Ces troupes allaient occuper les centres importants : Digne avec un général et le siège de la Gestapo, la citadelle de Sisteron, l’usine stratégique de produits chimiques de Saint Auban, la centrale électrique de Sainte Tulle qui alimentait l’usine, enfin à Manosque et à Folcalquier.
Rapidement des postes de guet de la Lufwaff allaient s’installer sur le plateau de Valensole, de Claret à Quinson. Ils étaient chargés, en relation avec les radars de la côte, de surveiller les mouvements aériens alliés qui s’intensifiaient et par la suite les va-et-vient nocturnes des avions qui parachutaient hommes et matériels et bombardements en Italie.
Le vaste plateau de Valensole était d’autant plus surveillé par les Allemands que ceux-ci craignaient que des troupes aéroportées puissent y être déposées en cas de débarquement allié sur les Côtes de Provence.
Des plans avaient d’ailleurs été conçus dans ce sens et étaient tombés entre leurs mains lors de l’arrestation d’agents du réseau anglais (S.O.E.) du major Cammaerts, à Nice, le 22 avril 1944.
Peu de personnes savent aujourd’hui que ce plan, annulé, allait être reporté sur l’Isère, c’est à dire dans le Vercors.
Les demandes pressantes des agents de Gallia à Nice, différents renseignements glanés dans les milieux résistants, les bombardements aériens de tous les ponts de la vallée de la Durance : tout semblait indiquer un débarquement, imminent.
À nos yeux, deux couloirs de pénétration seraient exploités :
la Vallée du Rhône vers Lyon
la Vallée de la Durance vers Grenoble ; celle-ci pouvait en outre permettre de prendre de flanc et par les cols, l’armée allemande qui se battait efficacement en Italie.

Responsable du secteur de la Durance pour le réseau GALLIA, j’avais recruté des informateurs et agents principalement dans le milieu enseignant que je côtoyais journellement du fait de mes occupations. J’étais en effet chargé par la Jeunesse et les Sports de leur enseigner la nouvelle méthode d’éducation physique, l’hébertisme.
« Cathédrale », fraîchement parachuté, était porteur d’une importante somme d’argent en billets neufs. Par mesure de prudence, il crut bon de la partager entre ses compagnons de route; ce geste ne sera pas sans conséquence comme nous le verrons par la suite. Par précaution, il fut convenu qu’en cas de contrôle, ils affirmeraient ne pas se connaître et être des auto-stoppeurs, forme de déplacement classique à cette époque.
« Roger », responsable du groupe, les conduisit à APT où ils rencontrèrent « Saint Sauveur » et « Cloître ». Sur le chemin du retour, le 13 août 1944, vers midi, ils arrivèrent à l’entrée de Digne. La ville était en état d’alerte aérienne. Par mesure de sécurité, les trois hommes abandonnent le véhicule, demandant au chauffeur de les attendre à la sortie nord de la ville. Ils se mélangent à la population civile qui se dirige vers le point de rencontre prévue. Effectivement, la voiture est là, qui les attend. Pas pour longtemps hélas !
À quelques centaines de mètres, un barrage allemand coupe la route sur le pont de la rivière. Impossible de faire marche arrière, on les avait aperçus, il fallait donc continuer. Le chauffeur arrête le véhicule. Tous descendent pour vérification d’identité et fouille. Les soldats, des supplétifs d’origine caucasienne, recrutés à cause du manque d’effectifs de l’armée allemande, ne comprennent ni le français, ni l’allemand. Impressionnés par le nombre de documents et de cachets, ils laissent repartir le groupe. Au moment de démarrer, un nouvel arrivant va tout bouleverser. C’est le véhicule militaire allemand avec quatre hommes à bord et MAX, le chef de la Gestapo de Digne. Ils font une tournée d’inspection des barrages et l’alerte aérienne étant terminée, viennent donner l’ordre de les lever. Le hasard veut qu’ils arrivent à ce moment crucial où nos hommes vont prendre le large.
Max se dirige vers eux et en français il les invite à descendre du véhicule. S’adressant en premier à « Chasuble », il lui demande ses papiers et le but de son déplacement. En examinant son certificat de travail, il s’aperçoit qu’il est périmé et flaire un faux. Il est immédiatement arrêté.
Il s’adresse ensuite à « Roger » et « Cathédrale ». Ceux-ci affirment être des auto-stoppeurs et ne pas se connaître. Mais tout se gâte rapidement, une fouille plus approfondie fait apparaître les billets de banque, tout neufs, sur les trois hommes et le comble, ils sont tous de la même série. La preuve matérielle et irréfutable établissant le lien qui les unit.
Tout le groupe est donc arrêté, mis au secret et transféré à la villa Marie-Louise, siège de la Gestapo, pour l’interrogatoire. Chacun y raconte son histoire sans grande conviction et les agents de la Gestapo ne sont pas dupes. Ils ignorent cependant, l’importance de la prise et le haut niveau des personnages.
Les Allemands ont laissé repartir le chauffeur avec son ambulance. Il leur semble hors de cause. Il poursuit sa route et, à Seynes, donne l’alerte. On prévient sans tarder « Pauline » qui arrive de Barcelonnette.
Réunion des responsables, il faut faire vite, car les Allemands sont expéditifs et leurs prisonniers connaissent tous les dispositifs de combat de la Résistance.
L’enjeu est énorme.
Une action militaire est un moment envisagée avec l’appui des maquis, mais l’idée tourne court, trop risquée, vouée à l’échec. Il fallait d’abord localiser les prisonniers et, que ce soit à la caserne Desmichel ou à la Gestapo, se heurter à un dispositif trop important et bien armé.
Alger a été prévenu immédiatement par radio. Devant l’impossibilité de conclure
Piddington fait avancer quelques blindés qui se mettent bien en évidence pour être vus des soldats allemands. On renvoie le gendarme avec un ultimatum qui doit expirer à 13h 15. Sans réponse, l’unité américaine attaquera avec chars, artillerie et aviation.
Nous avons présent à l’esprit le bombardement de Sisteron, 3 jours plus tôt. Plus de cent morts civils, quatre cents maisons détruites. Werbert, Brondi et moi-même intercédons auprès de Donald King, officier O.S.S., pour éviter un nouveau massacre. Finalement, à 13h, on fait avancer les chars. Des renforts sont arrivés et devant cette masse mécanique qui s’ébranle, un officier allemand se présente pour négocier la reddition.
Les soldats allemands acceptent de se rendre, mais à l’armée américaine, avec la garantie de ne pas être livrés aux maquisards ;

À contrecœur, le marché est conclu, 135 soldats allemands se rendent sans combat, évitant la destruction du village de Château Arnoux.
King, l’officier du O.S.S., Brondi responsable FFI et moi-même pour le réseau GALLIA, descendions vers Château Arnoux et devant la gendarmerie, commence le ballet de la remise des armes.
Ce fut le plus beau jour de ma vie. L’invincible ennemi était vaincu. Cinq jours plus tôt, ces mêmes hommes, en opération de ratissage m’avaient arrêté avec le lieutenant Saunier et au même endroit. Château Arnoux avait été investie et chaque maison perquisitionnée. Trois heures durant, nous avions été gardés comme otage et placés à côté du monument aux morts. Un feldwebel s’était particulièrement intéressé à nous et voulait nous embarquer avec eux. Ils se replieront finalement sur Sisteron et nous relâcherons.
Je retrouvais donc mon « interlocuteur » qui n’en menait pas large et qui plein de bonne volonté, s’activait pour démilitariser ses hommes. Ceux-ci, avant de se rendre, avaient fait un tri dans leur paquetage et c’étaient des soldats tout neufs qui se rendaient à l’armée américaine.
Des FFI, par l’odeur alléchée, étaient venus contempler le spectacle. Malgré les protestations des soldats américains, nombreux de prisonniers perdirent leurs belles bottes échangées d’autorité contre des espadrilles ou autres vieilles chaussures.
L’opération se terminant, nous repartions en Jeep avec King de l’O.S.S. et l’adjudant Ayotte pour Sisteron, libre de sa garnison, mais où se trouvait encore du matériel. La crainte, c’était de voir arriver des troupes allemandes de Gap qui, bien entraînées, avaient réussi à reprendre au maquis toute la vallée de l’Ubaye et Barcelonnette.
Notre arrivée à Sisteron fut loin d’être triomphale. J’avais prévenu l’officier de l’O.S.S. du tragique bombardement de la ville. Inutile, meurtrier et ce qui est grave allant à l’opposé du but recherché. Il était en effet impossible de traverser la ville dans un enchevêtrement des maisons effondrées.
Des semaines durant, on nous avait demandé de surveiller ce point vital, Sisteron, de passage obligé. Hantise de voir les troupes allemandes défendre la citadelle, de faire sauter les ponts. J’ai insisté chaque fois, précisant que l’unité allemande n’était pas opérationnelle, qu’il n’y avait aucune arme lourde, ni D.C.A., que les ponts n’étaient pas minés. Les services américains à l’inverse des services anglais tenaient peu compte de nos renseignements.
Bloqués dans Sisteron, il fallait trouver un passage. J’allais donc chez mon « correspondant » Brimond, transporteur de son état. Il me préconise de passer par Ribiers, petit village où le pont sur la Bucch n’avait pas sauté. On l’embarquait avec nous et nous prîmes la direction de ce village. Nous roulions doucement, Bremond et Ayotte à l’arrière, debout, agitant leurs bras. Des maquisards étaient signalés dans la région et risquaient de nous prendre pour des soldats allemands. Ils n’avaient comme nous, jamais vu une Jeep et quel beau « carton » nous pouvions présenter.

C’est d’ailleurs, ce qui manque de nous arriver à l’entrée de Ribiers. Les maquisards surveillaient la route, un Fusil-Mitrailleur en batterie, sur notre gauche. Nous eûmes toutes les peines du monde à leur faire admettre que nous arrivions avec nous un vrai Américain, dans une drôle de voiture. À l’inverse de Sisteron, ce fut un délire. On nous amena de force au Café, en rentrant, à gauche, pour boire le verre de la libération.
L’officier de l’O.S.S. mit vite fin à ces embrassades et demanda aux troupes FFI présents, de prendre sous leur protection le pont, à défendre coûte que coûte, le danger ne venant plus de Sisteron mais de Gap. Il leur promit de leur envoyer un soutien dès que possible.
Nous repartions sur Sisteron où les premières unités américaines arrivaient et commençaient à stationner sur la place, devant les écoles. L’officier O.S.S. fit son rapport à un officier supérieur qui venait d’arriver. Il me présenta et raconta notre périple. J’eus droit à un rapide discours en américain que je suppose être des remerciements et on m’offrit très amicalement de prendre en cadeau un véhicule amphibie allemand, avec sa petite hélice à l’arrière. Devant le peu d’enthousiasme, on me l’échangea sur le champ contre une voiture Renault, prise de guerre, qui allait me servir jusqu’au 15 janvier 1945, date à laquelle je la restituais à l’autorité militaire (j’ai encore le bon de restitution).
Ainsi se terminait une journée qui nous rendit la Liberté.

Épilogue
Je fis évidemment un compte rendu de la journée que j’envoyais par le courrier de Nice (Gueston 25 224). Je fus heureux d’apprendre à mon retour que j’avais fait un bon travail ce 19 août 1944 et que des félicitations suivraient.
Quelques semaines plus tard, me trouvant dans un de nos bureaux à Marseille en compagnie de Cassin (25 126), j’entendis un son de cloche différent.
Je m’étais occupé de ce qui ne me regardait pas et j’avais confondu renseignement et action.
Au lieu de félicitations, c’était un blâme que l’on m’infligeait.

Ainsi va la vie ; ceci est une histoire toute simple que chacun d’entre nous a ou aurait pu connaître. Il est parfois difficile d’avoir 20 ans, d’être enthousiaste, d’avoir envie d’action et d’agir en professionnel du renseignement.

Nous étions trop jeunes pour comprendre, on nous le pardonnera ».

Lucien FESTOR
25 227 pseudo Mireille
le 23 juillet 1996