SAULNIER Yseult

SAULNIER Yseult
Réseau GALLIA-MARGUERITE
SAULNIER Yseult

SAULNIER Yseult
Réseau Gallia-Marguerite
Pseudonyme(s) utilisé(s) : Jacqueline Suzanne SOUBRIER

Yseult SAULNIER est née en Tchécoslovaquie à Libérec dans la région des Sudètes d’une mère tchèque et d’un père autrichien de langue allemande. A 17 ans, son baccalauréat en poche, elle vient en France poursuivre ses études.
De retour à Prague, elle rencontre Robert Saulnier, professeur de mathématiques au lycée français et l’épouse en 1935, en acceptant en même temps la nationalité française.
Munich, l’annexion de la Tchécoslovaquie, la guerre qui se précise jettent le trouble sur ces années de bonheur. Robert, plutôt pétainiste d’ailleurs, rentre en France.

Yseult n’accepte pas cette annexion et entre dans la résistance en camouflant en forêt armes et munitions, qu’un ami directeur d’une usine d’armement fournit. Le 20 juin 1940, au cours d’une rafle, Yseult et des camarades sont arrêtés. Pendant huit jours, elle est internée. Sa nationalité française lui permet d’être libérée, mais c’est une libération surveillée, la Gestapo espérant sans doute remonter à travers elle au groupe. Elle se cache et décide de rejoindre en janvier 1942, son mari en France à Nantua où il est en poste.

De passage à Lyon pour trois jours au cours du mois de juin 1943, elle rencontre fortuitement un compatriote, ami de son mari et professeur à l’Université de Strasbourg (repliée à Clermont-Ferrand), qui la décide à mettre sa parfaite connaissance de la langue allemande au service du réseau GALLIA. Le réseau GALLIA lui trouve un emploi à l’Office allemand de la Main-d’oeuvre, rue Garibaldi, puis 67, avenue de Saxe à Lyon. Elle peut détruire bon nombre de lettres anonymes et de dossiers de résistants, renseigner le réseau sur les Français qui partent travailler en Allemagne (nombre et régime).

Elle change de nom et devient Madame SOUBRIER Suzanne, pseudo Jacqueline avec l’indicatif 1252 et 9 218 bis. Son chef direct est Heurtebise 1222, alias « le capitaine Benoit » qui dirigeait la région 8 « Marguerite », P.C. Lyon, seconde région Est, doublant la région Est de GALLIA.
Elle a le statut de P2.
Mais en décembre 1943, une vague d’arrestations touche les réseaux résistants lyonnais et le réseau Gallia est soumis à une rude épreuve.
La Gestapo serre de près les réseaux de renseignements, elle avait quadruplé le nombre de ses policiers, et pensait ainsi venir à bout de: organismes de résistance.
Yseult est, elle aussi, arrêtée le 20 décembre 1943 à Lyon par la Gestapo.
Ce sont alors les interrogatoires de la Gestapo dans les locaux de l’École de santé militaire, elle est internée à la prison de Montluc. Yseult est alors enceinte de six mois. C’était quelques jours avar Noël, les cadeaux, le berceau étaient prêts. Yseult est transférée à l’Hôpital de la Croix Rousse, réquisitionné par les Allemands. Le 30 mars 1944 Jean-Pierre naît et quelques semaines plus tari Yseult est reconduite à la prison de Montluc alors que des amis viennent chercher le bébé. « Ce fut pire journée de ma vie, je crois que ce fut pire que déportation, que la faim, le froid et la soif, et tout ce qu’on peut imaginer, je crois que chaque femme peut le ressentir et, aujourd’hui, en y pensant, je pleure ».
Le 19 mars 1944, Yseult est dirigée sur le Fort de Romainville puis déportée. Au cours du transfert, elle réussit à griffonner un petit mot pour les amis qui ont recueilli son enfant, un petit mot chargé de voeux et de recommandations et lancé aux quatre vents. Yseult possède aujourd’hui ce message devenu presque illisible. « Les cheminot! étaient extraordinaires ! Ils ont trouvé le message et ils l’ont fait parvenir à mes amis.
… A Romainville, nous avons pu apprendre le débarquement en Normandie et cela nous donnait de l’espoir, mais, malheureusement, on est reparti pour arriver en Allemagne, dans un camp épouvantable, à Neu-Bremen près de Forbach, un camp d’extermination. C’était odieux, nous n’avions même pas le droit de nous laver, on voyait torturer les hommes, nuit et jour… Ensuite nous avons été dirigés vers Ravensbrück… Nous descendîmes du train, surveillés par des gardiens et par des chiens et on est parti à pieds en croisant les colonnes de celles qui partaient travailler dans les champs et les usines ; elles avaient les cheveux rasées, des visages ravagés, des tenues rayées devenues de loques… un souvenir épouvantable. On est rentré dans la cour pour y rester des heures avant qu’on nous dépouille de toutes nos affaires personnelles pour nous donner des hardes avec une croix cousue pour mieux nous repérer en cas de tentative d’évasion, mais pas de chaussures… A cette époque-là, les tenues rayées manquent pour les nouvelles arrivantes ».
Après le passage obligatoire au bloc de « quarantaine », Yseult est affectée au bureau des cartes d’entrées en raison de sa connaissance de plusieurs langues étrangères.
« Travaillant la nuit, je dormais le jour, ce qui me permettait d’avoir une paillasse pour moi toute seule et d’éviter les poux.
Le matin, on avait une boisson infâme soi-disant « café » et à midi, un petit bout de pain. De Ravensbrück, il me reste des souvenirs terribles, mais aussi des amitiés car nous étions quelques-unes qui s’entraidaient et essayaient de rendre la vie plus facile à toutes.
J’ai connu des personnes extraordinaires, en particulier une religieuse, soeur Élisabeth, qui refusait de quitter ses malades. Un jour, j’ai vu partir soeur Élisabeth accompagner ses malades dans la mort, à la chambre à gaz, en chantant La Marseillaise… J’ai connu une fille belge qui s’était cassé une jambe sur le verglas. Conduite au revier, on lui a fait une piqûre pour la supprimer … J’ai eu de la chance d’avoir une très borne santé et de n’avoir jamais été malade au camp… Il ne fallait pas que je pense à la France, à mon fils, c’était la plus terrible épreuve que je subissais, mais je voulais revenir pour élever mon fils et cela m’a tenue en haleine durant ma captivité. Il fallait vivre sans penser, comme des bêtes. Il ne fallait pas réfléchir, la seule chose qui comptait était de survivre.
Un jour, j’ai été convoquée au bureau du commandant du camp qui m’a appris que ma mère avait été arrêtée et, chose terrible, il m’a dit : vous verrez votre mère si vous dénoncez les trafics qui se passent dans le camp. J’ai répondu que, travaillant la nuit, je ne pouvais pas être informée… Comme je n’ai pas dénoncé, je n’ai pas été autorisée à la voir, mais je l’ai aperçue une fois hors du camp, dans la prison ».
« Un jour, au début d’avril 1945, il y eut une inspection et les Allemands ont choisi 300 femmes qui pouvaient être libérées.
On est parti avec la Croix-Rouge à travers I’ Allemagne. Tout était alors en décomposition et là, j’ai vraiment vu la fin de l’hitlérisme sur les routes.
Des soldats affamés, avilis, plus rien qui ne tenait, plus d’essence…

La Suisse, la France : Annemasse, Perrache…
Enfin libre et mon fils dont je ne savais même pas s’il était encore vivant avait été placé chez des amis pendant ma déportation. Il avait 1 an et 13 jours quand je l’ai enfin retrouvé. Il ne me reconnaissait pas et c’est une chose douloureuse.
Ma mère est elle aussi rentrée de déportation, mais elle est restée à Ravensbrück jusqu’à la libération du camp, fuyant devant les Russes. Elle a du marcher et comme elle n’était plus toute jeune, elle a beaucoup souffert. Elle a eu un malaise et est tombée dans un ravin une nuit… Personne ne s’en est aperçu et elle a été retrouvée par des Allemands qui l’ont hébergée.

Les communistes qui ont pris le pouvoir en Tchécoslovaquie l’ont dépouillée de tous ses biens ; elle n’avait plus rien, même plus de compte en banque. Alors, je l’ai fait venir à Lyon. J’ai essayé de lui faire oublier le martyre qu’elle avait subi, mais elle était âgée, elle ne pouvait apprendre à parler Français, et ne supportait pas, elle qui avait été relativement aisée, de vivre aux crochets de sa fille. Elle est morte à 70 ans.

Que dire de plus sinon que je trouve la vie plus belle maintenant parce que j’ai souffert et, comme Camus l’a dit : « Sans désespoir de vivre, il n’y a pas de joie de vivre ». Je goûte chaque jour comme un cadeau. Il y a longtemps que j’aurais dû être morte. »
Témoignage adressé au SG Jacques Dieu